(Hommage prononcé lors de ses funérailles qui ont eu lieu le 26 janvier 2010 en l’église de Sainte-Félicité – Écrit et prononcé par Francis Gauthier, petit-fils de Mme Christine Truchon, dite Mamie)
Christine Truchon fait partie d’une génération de bâtisseurs qui ont construit le Québec que nous connaissons aujourd’hui.
Cinquième d’une famille de trois garçons et de dix filles, elle a grandi sur la ferme familiale à Sainte-Félicité. Cette ferme était bâtie sur une terre que son père avait dû défricher, à coup de corvées de travail. Au départ, la portion sans arbre était à peine suffisante pour construire une maison. Aujourd’hui, portez attention à la troisième maison à l’ouest de la route menant à Saint-Adelme et vous verrez les champs à l’arrière qui représentent tout le travail accompli par son père et la famille, au cours des années.
La jeune Christine aime l’école et réussit très bien. Elle se destine vers l’enseignement et fait son entrée chez les Ursulines à Matane. En septembre 1935, alors âgée de 17 ans, elle devient institutrice à Sainte-Félicité. Elle est responsable d’une classe d’une trentaine d’élèves, de six niveaux différents, les plus jeunes ayant 6 ans, les plus vieux 14.
En tout, elle sera institutrice pendant huit ans, à Sainte-Félicité, à Grosses-Roches et à Poncheville où, de son propre aveu, elle passa ses plus belles années d’enseignante. Elle gardait en mémoire beaucoup de beaux souvenirs de cette époque. Six années de suite, elle se vit attribuer un bonus de 20 $ pour ses qualités d’institutrice.
Le 28 avril 1943, Christine épouse son petit voisin, Robert Gauthier, qui était beau garçon et qui venait souvent la voir sur son bicycle. Ils s’établirent à Sainte-Félicité et eurent six enfants : Clément, Régent, Carmelle, Bernard, Daniel et Chantal.
On ne pouvait pas à l’époque être à la fois institutrice et mariée. Christine abandonne donc sa carrière d’enseignante pour se consacrer à sa famille. Même si elle n’est plus institutrice, elle n’en perd pas moins son sens de l’organisation et ses qualités de pédagogue. Elle voit aux besognes quotidiennes de même qu’à celles de la ferme. Très tôt, chacun des enfants est responsabilisé et elle voit à ce qu’ils performent bien à l’école, particulièrement en rédaction.
Comme c’était le cas de beaucoup d’hommes à l’époque, chaque automne, Robert quitte pour la Côte Nord, pour bûcher dans les camps. Il quitte en novembre et revient en mars. Pendant ce temps, Christine s’occupe de la famille avec l’aide parfois de ses sœurs.
En avril, après de longs mois au camp, Robert est de retour, avec sa poche de linge sale et sa valise de fer. Aux dires de Christine, ses pantalons de travail, des british comme on les appelait à l’époque, tiennent presque debout tout seuls tellement ils sont sales. C’est dire le temps que ça prenait pour les laver dans la cuve…
À la suite du retour de Robert, la routine à la ferme reprend. Ainsi, se dérouleront plusieurs belles années d’amour, de bonheur, de satisfaction du travail de la terre et de joies familiales.
Au début des années 1970, un nouveau concept fait son apparition dans la famille Gauthier : Christine devient Mamie. Elle le sera sept fois. Jusqu’à son décès, elle sera désignée ainsi avec affection dans la famille. Permettez que je laisse maintenant Christine pour vous parler de Mamie.
Mamie, c’est d’abord une personne avec qui on se sentait toujours exceptionnel. Son regard, le réel intérêt qu’elle portait dans ce que nous faisions, même les choses les plus simples, nous rendait fiers.
Je me souviens des moments où elle descendait nous rejoindre sur la grève au chalet, les après-midi d’été. On faisait des feux, on jouait au magasin. Elle nous parlait peu d’elle mais s’intéressait beaucoup à nous, à ce que nous faisions. Elle venait nous visiter à notre magasin, entre deux rochers, portant attention aux sculptures de roches qu’on lui présentait, mais qui ne devaient avoir l’air en réalité que de quelques cailloux cassés. Toujours elle exprimait sa grande impression face à nos créations.
Elle a d’ailleurs toujours été très créative elle-même. Le nombre d’histoires que j’ai pu lui demander de me raconter… Elle s’était spécialisée avec les années dans les histoires de sorcières. Elle en inventait de nouvelles sans cesse, sur demande, sans démontrer d’impatience. Et des histoires efficaces en plus. Il est même arrivé qu’elle s’endorme en nous en racontant. Une fois, entremêlant réalité et fiction, à demi endormie, elle avait commencé à nous parler d’une certaine Ginette au beau milieu de notre histoire…
Des moments partagés comme ceux-là, nous en avons tous plusieurs, comme ces journées de congé d’école passées à faire du pain ou des beignes ou ces appels téléphoniques à discuter de la meilleure façon de faire de la soupe au chou. Le plaisir d’enseigner et de partager son savoir n’a d’ailleurs jamais quitté Mamie.
Qu’elle fasse un suivi du déroulement de nos matières à l’école ou qu’elle prenne quelques minutes pour nous montrer, assise à table, à abaisser de la pâte, ces moments la rendaient heureuse.
Une institutrice vous dites ? Je me souviens qu’à quelques reprises, elle prenait le temps de m’appeler après avoir reçu une carte de ma part, pour me remercier oui, mais aussi pour me souligner qu’anniversaire ne prenait pas deux «s» ou que j’avais mal accordé un verbe avec son sujet.
L’amour porté à notre langue, la fierté de nos origines, de notre Gaspésie natale, l’amour du travail bien fait, la compassion envers les autres, envers son prochain, le respect de soi et des autres, la famille : voilà tout autant de valeurs que nous a transmises Mamie, par ces moments de bonheurs partagés. Voilà tout autant de legs de sa présence dans nos vies.
Christine Truchon-Gauthier, Mamie, fait partie d’une génération de bâtisseurs, je le disais. Elle a bâti une jeunesse à une époque où l’éducation n’était pas valorisée, elle a construit un amour qui a duré presque 67 ans, elle a bâti une famille dans les conditions difficiles du travail sur une ferme, une famille qui est réunie ici aujourd’hui.
En portant en nous les valeurs qu’elle nous a transmises, en les vivant au quotidien, nous sommes comme ces champs qui longent la route de Saint-Adelme et qui ont été défrichés par son père, nous sommes un symbole de son passage ici-bas, un symbole qui fait qu’elle vivra encore longtemps.
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