Hommage rédigé et lu par sa fille Michèle lors de la célébration commémorative en l'église de St-Ulric
Hommage à papa
Je vais commencer par expliquer le thème des pommes : papa terminait ses trois repas quotidiens par une demi-pomme: Il citait souvent le dicton : Une pomme par jour éloigne le médecin pour toujours! Dans son cas, ça s’est avéré assez juste car on ne peut pas dire qu’il a été malade souvent.
Comme papa a toujours demeuré à St-Ulric, beaucoup connaissent son parcours de vie. D’abord, il a aidé à cultiver la terre familiale dans le rang 2 de Tartigou, ensuite il a pris la route des chantiers, bûchant principalement sur la côte Nord. Un seul accident durant toutes ces années : une bonne journée, oncle Maurice St-Laurent arrive de Baie-Comeau et apprend à maman que papa s’est coupé sur le nez. Dans ma tête d’enfant, je pensais que papa n’avait plus de nez. Si ma mémoire est bonne, la scie avait rebondi à cause d’un chicot. S’il n’avait pas eu son chapeau de sécurité, c’est sa tête qui aurait pris le coup. Il nous racontait avoir couru à un ruisseau pour éponger le sang et que l’eau se teintait de rouge tellement ça saignait.
Ensuite, fatigué des longues saisons passées au chantier loin de sa famille, il a changé de cap : le voilà vendeur pour les compagnie Watkins et N.A. Sirois, parcourant les routes été comme hiver, de Petit Matane à Grosses-Roches, en passant par l’arrière-pays. Que de fois il nous a parlé de la Ferme de M. Philibert à Petit Matane et de M. Léo Gosselin à Ste-Félicité ! Mais les filles Paquet, ce qu’elles préféraient des produits Watkins, c’étaient les rouges à lèvres, les belles bouteilles de parfum et les emballages cadeaux des Fêtes pour les dames. Bien sûr, nous ne détestions pas non plus les petites boîtes de métal contenant des bonbons avec un centre en chocolat. Vous l’aurez deviné, papa finissait toujours par en déballer une pour sa petite famille. Durant ces années-là, quand nous allions faire une promenade le dimanche, Yvan faisait le voyage en avant entre papa et maman et Denise et Michèle à l’arrière, assises sur des caisses d’eau de javel parce que papa avait dû enlever le siège arrière pour mettre sa marchandise. (je l’avoue on rouspétait quelquefois parce que c’était pas vraiment confortable). Seigneur, que maman en a mangé du «mastic» de vitres à guetter le retour de papa quand il faisait tempête ou s’il arrivait plus tard qu’à l’accoutumé !
Je pense que c’est durant cette période que papa a complété sa scolarité. Comme la plupart des enfants de son époque, il avait arrêté l’école après sa septième année. Alors quand il en a eu l’opportunité, il s’est inscrit aux «cours du soir» comme on disait dans le temps. Ainsi, il a complété avec succès sa dixième année commerciale. Il fallait le vouloir, aller s’asseoir sur les bancs d’école jusqu’à dix heures du soir après sa journée de travail.
Puis, voilà qu’un beau jour, la gérance de la coop lui est offerte. Il accepte, voyant l’avantage d’être près de son travail et de recevoir un salaire régulier. Que d’heures passées à cet établissement. Même si le magasin était fermé, il s’y rendait les fins de semaines pour faire la comptabilité et parfois il dépannait des clients en dehors des heures d’ouverture. Son aptitude pour le calcul mental le servait bien pour ce travail. Besoin de peinture ? Il n’était pas long à calculer la quantité nécessaire. C’était impressionnant de le voir résoudre des divisions à plusieurs chiffres dans sa tête.
Par la suite, il a été directeur du HLM et passait le reste de son temps à faire du bénévolat, soit pour l’âge d’or, la Fabrique, et la chorale. Il a travaillé plusieurs heures à faire l’inventaire des lots du cimetière, secondé bien sûr par maman.
Papa aimait bien jouer des petites parties de cartes à la salle de l’âge d’or et aller faire une partie de quilles hebdomadairement, mais ses principaux loisirs étaient du domaine musical. Il avait suivi des cours de danse de son neveu Gérard Richard et il n’y avait pas beaucoup de samedis soir où il n’allait pas danser avec maman. La semaine, il profitait de notre grande cuisine pour pratiquer ses pas de danse, et allons-y pour un cha-cha, un swing, une valse, et j’en passe.
Mais bien avant les cours de danse, il a fait partie de la chorale. Je ne saurais même pas vous dire quand il a commencé. Tout ce que je sais, c’est que durant l’Avent, il allait souvent chez M. Narcisse Gendron pour pratiquer la partition de basse et il nous y emmenait parfois. Quand il a quitté la chorale il avait plus de 80 ans. C’était vraiment un bon choriste, avec une grande facilité d’apprentissage.
Il aimait vraiment la musique ; un soir, nous sommes arrivées à la Maison Desjardins et il était assis seul avec maman dans un salon. Les préposées avaient mis de la musique et ils chantaient tous les deux. Pas fort bien sûr, mais ils avaient le bon air. Ensuite, nous avons pris un cahier de chansons dans lequel il y avait des pièces que nous n’avions jamais entendues et papa ou maman nous fredonnait l’air. J’étais vraiment impressionnée qu’ils se rappellent tout ça. Durant les dimanches après-midi de musique à la Maison Desjardins, papa chantait à peu près toutes les chansons. Ces après-midi étaient agréables pour lui et lui permettaient de trouver le temps moins long.
Son cœur est toujours resté à St-Ulric. Quand nous allions le voir, il demandait immanquablement : Y’as-tu du nouveau à St-Ulric ? Nous lui donnions les nouvelles fraîches : un tel ou une telle est décédée, l’autre est déménagé, ils sont à refaire le pont, une section de trottoir, enfin, les petites nouvelles de la place qu’il écoutait avec intérêt.
Il était patient aussi, je me souviens d’un beau dimanche après-midi, j’étais en secondaire 2 et je devais faire un herbier. Nous voilà partis tous les deux à parcourir les rangs de St-Ulric et de St-Octave à la recherche de diverses feuilles d’arbres. J’avais un accompagnateur hors pair : il connaissait ça les arbres. Je suis revenue avec l’herbier le plus complet de la classe ! Je me souviens encore comment j’étais contente et satisfaite de mon travail.
Élevé dans la foi chrétienne, on peut aussi dire que c’était un bon célébrant : il n’a pas manqué beaucoup de messes durant sa vie active. C’était aussi un bon pratiquant : jamais papa n’aurait rien fait qui puisse nuire aux autres ou les priver de quelque chose. Nous avons su par maman ou par d’autres membres de la famille qu’il avait souvent aidé un frère ou une sœur dans le besoin. Ayant un cœur généreux, il n’hésitait jamais à rendre un petit service à un voisin ou un autre et quand c’était un ouvrage de peinture, alors là il répondait «présent». Si on calculait en kilomètres tous les murs et plafonds qu’il a peinturés, on pourrait aller loin.
Même s’il n’était pas un homme hyper démonstratif, il aimait bien rire et jouer des petits tours. Il était toujours un bon auditeur pour les raconteurs de blagues. Il aimait bien taquiner ses petits-enfants et s’amusait de leurs petites fredaines. La fois où je l’ai vu rire le plus, c’est le midi où il avait donné à son petit-fils François une bouchée de gâteau avec de la confiture à la rhubarde. Je revois François, assis dans la chaise haute et qui ne sait plus trop quoi faire de la bouchée : la recracher ou l’avaler ? Finalement il avait pris son courage à deux mains et avait avalé la bouchée avec une énorme grimace et un petit frisson. Papa riait tellement de lui voir le minois qu’il en était presqu’étouffé.
Je termine sur une dernière anecdote qu’il nous a souvent racontée : lorsqu’il était enfant, quelqu’un lui avait demandé de faire je ne me souviens plus quoi en lui promettant de lui donner, selon ce que papa avait entendu, un chou noir. Alors il s’est dépêché de donner suite à la demande pour savoir à quoi ressemblait un chou noir. Il avait été vraiment déçu de recevoir un sous noir.
Au nom des 4 enfants, je remercie le Tout-Puissant pour la belle vie qu’il a prêtée à papa. Bien sûr, il a connu des tracas et des difficultés mais il a bénéficié d’une bonne santé durant la majorité de sa vie et il n’a pas subi de trop grandes épreuves, à part la perte de maman qu’il a beaucoup pleurée.
Bon voyage papa, et qui sait, peut-être que là où tu es maintenant, il y a des choux noirs et de beaux pommiers.
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